En tant que Francs-Maçons, membres de la Grande Loge Nationale Française, certains d’entre nous sont troublés, déstabilisés, inquiets ou révoltés par une situation devenue incompréhensible voire aberrante au regard de l’objet de notre association.
Le hasard m’a fait découvrir que nous sommes probablement victimes de l’effet « Janis ».
Irving JANIS (1918-1990) est un chercheur en psychologie de l'Université de Yale qui a développé le concept de pensée de groupe (ou pensée groupale) ou GroupThink dans les années 70 en analysant quelques fiascos politico-militaires américains particulièrement retentissants.
La pensée groupale ou effet « Janis » désigne le fait qu’à l’intérieur du groupe se développent des mécanismes psychologiques qui incitent les individus à rapprocher leurs points de vue les uns des autres, à développer une cohésion qui leur fait prendre des positions irrationnelles.
La pensée groupale se caractérise, en particulier, par le fait que les individus du groupe ne tiennent plus compte des réalités extérieures, cherchent à établir un consensus sur la solution la plus acceptable pour sauvegarder la cohésion du groupe et éviter les discussions susceptibles d’être sources de conflits.
De ce fait, la décision prise est souvent boiteuse de type « consensus mou ».
Le danger d'un tel phénomène est que le groupe peut prendre de mauvaises décisions ou des décisions irrationnelles, même si les individus du groupe auraient personnellement pris une autre décision.
De manière moins dramatique, le résultat peut être une décision collective qui ne satisfait personne car elle n'est pas le résultat de la concertation des différents besoins de chaque individu.
Concrètement, un certain climat de complicité cherche à s’instaurer dans le groupe. Les membres évitent de prendre des initiatives ou de suggérer des contre-hypothèses.
La solution préférée initialement par le groupe est soutenue de façon sélective ; le groupe aveuglé par ses préjugés est victime de l’esprit de corps qui tend à étouffer toute pensée critique indépendante.
La pensée groupale comporte plusieurs aspects qui interviennent dans les prises de décision :
- le sentiment d’invulnérabilité qui fait que le groupe peut, par exemple, se croire au-dessus des lois.
- la conviction d’être dans son bon droit.
- la tendance à dénaturer une information contraire à la décision du groupe.
- les pressions exercées sur les membres afin qu’ils soutiennent la décision majoritaire.
- la tendance des membres à construire des stéréotypes concernant des personnes opposées à leur décision.
Les membres d’un groupe sont plus intéressés et préoccupés à sauvegarder leur cohésion ou à défendre le groupe contre des menaces externes qu’à trouver et à aboutir à une décision rationnelle.
D’après l’ouvrage « La psychologie des groupes » d’Alain Blanchet et Alain Trognon, cinq conditions prédisposent à l’effet « Janis » :
- la cohésion élevée du groupe.
- l’isolement par rapport au corps social ou à d’autres groupes.
- l’absence de définition de la méthode dans le travail du groupe.
- le leadership très directif.
- la situation globale anxiogène et stressante.
D’autre part, deux symptômes principaux émergent :
- l’illusion collective : illusions de moralité, de rationalité, d’unanimité, et d’invulnérabilité du groupe.
- la censure collective qui s’applique à soi-même et aux autres. Les membres du groupe préfèrent garder leurs opinions divergentes pour eux, plutôt que de déserter le navire.
Enfin, quatre caractéristiques signent les décisions prises par effet « Janis » :
- la pauvreté de l’information recherchée.
- les biais et les distorsions dans le traitement de l’information et la définition des objectifs.
- l’absence de prise en compte des risques potentiels que la décision comporte.
- le manque de recherche d’alternatives logiques et cohérentes.
Par ailleurs, il existe une véritable pression à la conformité sur les individus. Ceux-ci doivent absolument s’aligner sur la volonté du groupe, ne pas être en désaccord avec lui, sinon ils sont véritablement ostracisés, c’est-à-dire écartés des débats, voire sanctionnés ou expulsés.
Pour qu’un groupe cohésif évite cet effet, il doit accepter les divergences, les désaccords, et ne pas rejeter les arguments neufs et les solutions originales.
Il faut impérativement nous imprégner de ces notions particulièrement parlantes au regard des évènements, de leurs causes et conséquences, qui ont secoués la Grande Loge Nationale Française depuis bientôt deux ans.
Rester lucide est un devoir tout comme garder son esprit critique est un droit pour tout Franc-Maçon.
Références : La psychologie sociale - Gustave-Nicolas Fischer et le Site internet http://pierre.coninx.free.fr/